mercredi 22 décembre 2010

PARAPLEGIE ET VIEILLISSEMENT

CAS DE L EUROPE

PARAPLEGIE ET VIEILLISSEMENT

Dr B. PERROUIN-VERBE,

Dr F.LOUIS


L 'existence d'une lésion médullaire a, jusqu'à la 2ème Guerre Mondiale, constitué un arrêt de mort à plus ou moins long terme. Les causes des décès étaient largement dominées par les complications urinaires.
Depuis les années 50, particulièrement depuis ces deux dernières décennies, l'évolution des connaissances sur le plan physiopathologique des dysfonctionnements, plus spécialement végétatifs, le possible dégagement de facteurs pronostiques, l'amélioration des techniques de prise en charge, notamment la révolution conceptuelle du cathétérisme intermittent, ont nettement diminué l'incidence de ces complications. Le développement d'unités spécifiques de prise en charge, d'un suivi approprié font qu'aujourd'hui l'espérance de vie d'un blessé médullaire a considérablement augmenté.
Toutefois, la condition du blessé médullaire n'est pas une situation stable. Le comportement fonctionnel de ces blessés est le résultat d'un équilibre ténu entre les problèmes physiques, psychosociaux et les conditions environnementales.
Plus que tout autre, le blessé médullaire semble subir un vieillissement prématuré l'ace à deux processus simultanés : les effets de l'âge en lui-même, l'influence de la durée post-traumatique sur les différentes déficiences présentées, phénomènes qui sont particulièrement intriqués.


ESPERANCE DE VIE, CAUSES DE DECES, MORBIDITE DE LA POPULATION SPINALISEE (1,2,3)

La revue de la littérature indique une diminution notable du taux de mortalité de la population spinalisée avec comme corollaire l'augmentation de son espérance de vie. Evalué à 60-80 % lors de la 2e guerre mondiale, à 30 % dans les années 60, ce taux de mortalité a été estimé à 6 % dans les années 80. Hartkopp, à partir d'une cohorte de 880 patients suivis sur 4 décennies, objective une probabilité de survie à 25 ans de 60,6 % pour les hommes blessés médullaires, 66,7 % pour les femmes, versus respectivement 66,9 % et 76 % pour la population normale. La subdivision en deux groupes selon la date de survenue du traumatisme (c'est-à-dire avant 1973 et après 1973) confirme cette amélioration. De même, Devivo, dans son étude sur 12 ans (9 135 blessés), conclut à un taux de survie de 85,1% après 12 ans d'évolution. Whiteneck comparant le taux de mortalité d'une population de 834 patients traumatisés avant 70 par rapport à une population témoin, montre que le taux de mortalité due à la lésion médullaire croît avec l'âge. Ainsi, dans la tranche des 20-30 ans, ce taux est de 7 décès pour 1000 plus élevé par rapport à la population normale, et il s'accroît à 25 décès pour 1 000 plus élevé dans la tranche des 60-70 ans. D'un autre côté, le taux de mortalité des blessés médullaires tend à rejoindre celui de la population normale avec l'accroissement de l'âge : 8 fois plus élevé chez des blessés de 20 ans, les survivants de 70 ans ont un taux de mortalité de 1,5 fois plus élevé que la population générale.

Quelles sont les causes de décès ?

La comparaison des études en fonction des dates de survenue de la lésion médullaire permet de voir que, si les causes urinaires étaient au premier plan pour les traumatismes survenus avant les années 70 (2,3), les principales causes actuelles de décès depuis les années 70 sont liées à des complications respiratoires (1).

La définition d'un indice de mortalité standardisé (standardized mortality ratio, SMR), permettant de quantifier l'impact spécifique de la lésion médullaire sur une cause de décès par rapport à la population normale, objective un SMR plus élevé pour un grand nombre de pathologies, hormis les cancers, les cardiopathies ischémiques et les pathologies artérielles.

A 5 ans post-traumatiques, ces principales causes de décès restent dans l'ordre la septicémie (SMR = 41,8), les complications respiratoires infectieuses (SMR = 13,2), les problèmes urinaires (SMR = 8,9), et l'embolie pulmonaire (SMR = 8,4).

Les facteurs pronostiques de survie sont liés au niveau, au caractère complet et à l'âge de survenue de la lésion médullaire. Ainsi, les tétraplégiques dont l'âge au moment du traumatisme est supérieur à 50 ans ont une faible médiane de survie (1,8 année).

Vieillissement, déficiences et complications

Sans lister tous les problèmes, nous citerons l'évolution et le risque de complications des différentes déficiences sous l'influence de l'âge et de la durée post-traumatique.

Les problèmes vésico-sphinctériens

Les dégradations de l'appareil urinaire surviennent essentiellement dans les 4 premières années post-traumatiques que ce soit au niveau du bas appareil (déformations des parois vésicales), au niveau du risque de reflux vésico-urétéral, et de la dégradation du haut appareil surtout dans la première années (4). Ceci justifie un suivi rapproché lors de cette période qui pourra ensuite être élargi en fonction des facteurs de risque.

L'évolution avec l'âge et la durée post-traumatique reste dominée toutefois par la majoration possible d'un syndrome obstructif : c'est le problème du dépistage d'une maladie de col, de rétrécissements uréthraux, d'obstacles prostatiques, de prolapsus, qui peuvent à bas bruit modifier l'équilibre vésico-sphinctérien. Il faut noter parfois que certaines de ces complications (prostate) peuvent être providentielles lorsque le but recherché est la continence. Cordenos a par ailleurs objectivé par un suivi urodynamique, une baisse des pressions mictionnelles corrélée à la durée post-traumatique qui peut être liée à un épuisement du détrusor. L'association de ces deux phénomènes (épuisement du détrusor et syndrome obstructif) aboutit à la majoration d'une dysurie et est à l'origine d'une recrudescence des infections urinaires notamment après 60 ans et entre la lère et la 3e décennie post-traumatique (2). Le risque de cancer de vessie décrit chez des patients porteurs de sonde à demeure n'est plus retrouvé dans les études récentes. Ceci est sans nul doute lié au fait que ces néoplasmes de vessie étaient liés à l'existence de drainages continus prolongés.

Les escarres

L’étude de Whiteneck retrouve une incidence annuelle de 23 %. L'incidence de cette complication augmente par tranche d'âge de 10 ans, le risque étant majoré par le vieillissement du revêtement cutané. Citons les complications trophiques des membres inférieurs secondaires à la stase veineuse chronique, notamment chez les blessés médullaires flasques qui induisent des lésions de capillarite nécrosante, source d'infections.

Les problèmes neuro-orthopédiques

Les rétractions musculo-tendineuses des membres inférieurs sont corrélés à la durée post-traumatique, reflet d'un mauvais entretien articulaire. Citons les flexums de hanches et de genoux liés à la station assise, fréquents dans les paraplégies basses lorsqu'il existe un déséquilibre plan antérieur / plan postérieur, ou pérennisés par des spasmes en flexion.

Les ostéomes sont des complications des premiers mois et de survenue rare à la phase secondaire.

Les fractures sont une complication directement liée à la durée post-traumatique. Leur incidence est évaluée dans la littérature de 3 à 11 % selon les études, et doit faire réfléchir dans l'avenir à un traitement préventif. Si la perte osseuse sous lésionnelle est de 30 % de densité minérale osseuse la lère année, une étude récente faite dans notre service de 30 blessés médullaires avec un recul moyen de 3 ans, versus 30 témoins, permet de constater que la perte osseuse s'accroît au fil des années dans les régions métaphyso-épiphysaires du site fémoral intérieur (-52 %) et tibial supérieur (-70 %). Ceci explique le siège préférentiel des fractures supra-condyliennes du fémur et de l'extrémité supérieure du tibia chez le paraplégique dont le risque s'accroît avec les années. Il convient encore de citer les décompensations douloureuses des cyphoses et scolioses post-traumatiques liées le plus souvent à des cals vicieux et leur retentissement sur l'équilibre cutané, (complications qui tendent à diminuer depuis les années 70, en raison d'une réduction et d'une ostéosynthèse fréquente du foyer fracturaire rachidien.

Les complications vasculaires

L'étude des Invalides avait retrouvé une incidence d'artériopathie des membres inférieurs de l'ordre de 16 %(5). Si les dernières études de Devivo(1) ne semblent pas objectiver un SMR plus élevé pour les complications artérielles, il faut insister sur le siège préférentiel proximal de cette artériopathie (aorto-iliaque), le caractère tardif de son diagnostic souvent évoqué devant l'apparition d'escarres pelviennes multiples chez un paraplégique jusque là bien pris en charge. Cette complication est une complication de la deuxième décennie post-traumatique.

Le risque thrombo-phlébitique s'il apparaît majeur à la phase aiguë reste toutefois 8 fois plus élevé à la phase chronique, comme en atteste un SMR à 8,4 à 5 ans de survie dans l'étude de Devivo en ce qui concerne les embolies pulmonaires.

Les cardiopathies ischémiques ne semblent pas avoir d'incidence plus élevée (SMR à 1,1) malgré des études plus anciennes révélant une hypertension artérielle plus fréquente chez ces patients dans les années 70, mais qui était probablement liée à l'existence d'une insuffisance rénale.

Les complications respiratoires

Première cause de décès, elles restent à 5 ans de survie une cause majeure, notamment en ce qui concerne les pneumonies et les atélectasies. L'évolution des patients vieillissant, particulièrement les tétraplégiques, se fait vers une moins bonne tolérance du syndrome restrictif. Une diminution de ce dernier est liée au vieillissement par troubles de la compliance de la cage thoracique. Chez certains patients, l'aggravation de la fonction respiratoire peut faire discuter la mise en place d'une ventilation non invasive nocturne.

Les modifications neurologiques

Complication quelquefois tardive (> à 20 ans), mais pouvant survenir à n'importe quel âge de la paraplégie(6), le risque de syringomyélie post-traumatique est évalué actuellement dans la littérature à 5 % lorsque le diagnostic est clinique, 28 % lorsqu'il s'agit d'un diagnostic neuro-radiologique par IRM. Cette complication est sérieuse et d'évolution imprévisible. A cet égard, il convient de rappeler que la myélopathie cystique ascendante n'est pas la seule cause de détérioration neurologique.

La myélopathie non cystique ascendante rapportée par certains auteurs à une myélomalacie, une atrophie extensive présentent les mêmes caractéristiques sémiologiques.

Les modifications digestives

Citons les complications digestives (périnée descendant, prolapsus hémorroïdaire, occlusion fonctionnelle) qui semblent corrélées à l'âge et à la durée post-traumatique.

Etat de santé et modifications fonctionnelles du blessé vieillissant (7,8)

Lors d'une étude de 279 patients avec un recul post-traumatique supérieur à 20 ans, Gerhart (8) étudie le déclin fonctionnel de ces blessés. 22 % de cet échantillon rapporte la nécessité d'une assistance supplémentaire qui semble être directement dépendante de l'âge et non des années post-traumatiques.

Les raisons de ce déclin fonctionnel sont une perte de force et une fatigue (rapportée dans beaucoup d'études) dans 1/4 des cas, l'existence de problèmes médicaux dans 1/4 des cas, de douleurs ou raideurs notamment des membres supérieurs dans 18 % des cas tandis que 14 % des patients incriminent directement leur âge. Enfin, la prise de poids est considérée comme la cause princeps dans 5 % des cas, mais 39 % des patients rapportent une surcharge pondérale à l'origine de difficultés surajoutées.

Ce déclin fonctionnel a nécessité, pour 71 % des patients l'attestant, des aides supplémentaires afin de préserver leur mobilité et leur indépendance impliquant ainsi des changements d'orthèses, de fauteuils, l'adjonction de nouvelles aides techniques au transfert, voire l'intervention de tierces personnes.

Ce déclin caractéristique du vieillissement dans la population normale apparaît dans cette population de blessés médullaires de façon plus prématurée vers 40 ans pour les tétraplégiques et 50 ans pour les lésions plus basses.

Au delà de ces données générales, il convient de souligner l'existence d'un syndrome d'hyper-utilisation des membres supérieurs directement liée à la durée post traumatique et particulièrement bien étudiée par Pentland(9). L'analyse des douleurs des membres supérieurs objective que 39 % des paraplégiques présente des douleurs d'épaule, 31 % des douleurs au niveau du coude et 40 % au niveau des poignets. 30 % de ces patients ont dû modifier leurs activités de vie quotidienne. Pentland démontre par ailleurs que ces phénomènes d'hyper-utilisation peuvent être prévenus par un entretien musculaire sus lésionnel régulier, la prescription de fauteuils allégés, l'adaptation environnementale avec des études ergonomiques approfondies.

Différentes études montrent que la qualité de vie diminue de façon parallèle avec le déclin fonctionnel. Sur le plan psychosocial, il convient de constater qu'au fil des années, un certain nombre de blessés médullaires diminuent leurs activités sociales et de loisir, notamment les sorties extérieures, afin d'économiser leurs efforts pour rester indépendant dans les activités de vie quotidienne.

CONCLUSION

L'existence de complications liées notamment au dysfonctionnement végétatif, communes à toutes les tranches d'âge justifie un suivi à long telle du blessé médullaire. Les effets de l'âge et de la durée post-traumatique sont à l'origine d'un déclin fonctionnel chez tous ces patients. Si nous avons peu d'impact sur les effets de l'âge en lui-même, gardons à l'esprit que nous pouvons prévenir le syndrome d'hyper-utilisation des membres supérieurs par des programmes de rééducation adaptés, un entretien régulier, et des adaptations environnementales appropriées à chaque individu.


Service de Rééducation Fonctionnelle Polyvalente,

CHU, hôpital Saint Jacques,

BP 1005

44093 Nantes Cedex 01

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